Rencontre avec Nathalie Jovanovic-Floricourt auteur de « l’ADN un outil généalogique » paru aux éditions Archives et Culture.  

 

Vous avez commencé à vous intéresser à la généalogie génétique en 2008, votre livre est le fruit de 10 ans d’expérience. Qu’avez-vous découvert en faisant analyser votre ADN ?

Nathalie Jovanovic FloricourtTout d’abord, les origines ethniques bien entendu. Je savais que j’avais des origines multiculturelles. Mon père était en effet serbe et ma mère créole réunionnaise. J’ai donc des origines assez mélangées, de l’Europe de l’est pour mon père, et par ma mère de toute l’Europe quasiment : française, portugaise, allemande, italienne, hollandaise, belge, malgache et aussi indienne, entre autres.

L’analyse ethnique a confirmé cela et des précisions que je ne connaissais pas ont été apportées : des origines russes et d’autres pays, tout cela bien sûr avec plus ou moins de fiabilité. Je me suis donc penchée sur la question afin de savoir pourquoi il y avait des différences d’analyses entre les différents laboratoires. Je voulais pouvoir interpréter les résultats et savoir comment cela fonctionnait de manière générale.

Cela m’a permis aussi de rencontrer des cousins génétiques, donc d’être mise en relation avec des personnes dans le monde entier qui partagent une partie de mes chromosomes et d’essayer de retrouver les ancêtres communs par lesquels nous étions reliés.

Cela permet donc d’étoffer son histoire familiale et peut-être aussi de revoir certaines idées que l’on a sur sa généalogie ?

découverte de l'ADNExactement, c’est là où on est confronté à la réalité et une des difficultés est de comprendre comment l’ADN fonctionne aussi. Déjà lorsque j’ai eu les résultats, on m’a indiqué qu’en tant que femme je ne pouvais avoir les ancêtres de mon père. Je découvrais pourtant des cousins génétiques dans les résultats qui ne pouvaient être reliés à ma mère puisqu’ils étaient d’Europe de l’Est. Il a fallu donc comprendre comment fonctionnait l’ADN, que j’apprenne qu’il y avait plusieurs types de tests ADN avec des informations différentes mais à quel niveau et avec quelle ancienneté ? Au début, cela a été difficile car les seules informations disponibles provenaient des Etats-Unis, en anglais et souvent pour des spécialistes !

A partir de là, j’ai fait d’autres tests dans d’autres laboratoires, comme le test mitochondrial, l’ancêtre féminine la plus lointaine, la mère de ma mère, etc. Il aurait fallu que je fasse tester mes parents pour avoir plus de détails et de précisions.

Un préjugé récurrent est l’idée que nos ancêtres ne « bougeaient pas ». C’est faux lorsque l’on voit les résultats et les cousins génétiques qui habitent un peu partout dans le monde. J’ai donc été extrêmement surprise et cela m’a poussé à replonger dans l’histoire en lisant des livres pour comprendre à quel point l’Europe de l’Est était une mosaïque de peuples différents qui s’était beaucoup dispersé, obligé d’émigrer au fil des guerres. J’ai retrouvé aussi des personnes affiliées à mes ancêtres malgaches aux Etats-Unis, notamment dans les Etats du sud, des ancêtres dont les descendants sont devenus esclaves aux Etats-Unis et à la Réunion donnant naissance à des lignées différentes.

On peut donc se retrouver avec des cousins à l’autre bout du monde ?

Oui y compris lorsque l’on est français. J’ai des ancêtres français de métropole aussi (bretons, marseillais…) des quatre coins de la France qui sont partis à la Réunion, l’ile Bourbon à l’époque, et dans d’autres pays. J’ai retrouvé d’autres branches à l’étranger, dans des pays anglophones plus ouverts aux tests ADN.

Les motivations des personnes testées sont variées, certains le font uniquement par curiosité, pour les origines ethniques, en ne connaissant rien de l’histoire de leur famille, pas même parfois les noms de leurs grands-parents !

Ils n’ont pas fait de recherches généalogiques dans les archives et n’en feront peut-être jamais. Certains croyaient qu’ils allaient trouver leurs données généalogiques facilement, un arbre généalogique fourni tout fait. Ils découvrent la discipline et ne savent pas comment procéder pour utiliser les données et ne vont peut-être pas y consacrer le temps nécessaire.

Il y a aussi les généalogistes passionnés qui découvrent ce nouvel outil pour trouver des informations et faire des recoupements avec ce qu’ils savent de leur arbre généalogique.

Votre livre pour vous, c’est un aboutissement ou une étape ?

C’est une étape, déjà parce que c’est le premier et le seul livre qui existe sur la généalogie génétique de façon très pratique. C’est ce que je voulais, je suis avant tout une généalogiste de 30 ans, 32 ans en fait cela passe vite !

guide adn un outil genealogique 2e editionJ’ai commencé, j’avais 18 ans, une passionnée ! On met le nez dedans et on veut avoir des réponses. Je voulais savoir d’où venaient mes ancêtres. Il y avait une légende familiale, un marronnier, un classique en généalogie. Notre ancêtre Floricourt était un noble qui aurait vendu sa particule à la Révolution. Je suis partie à la recherche de ce Floricourt que j’ai découvert être le fils d’une ancienne esclave qui n’avait jamais eu de particule. En fait Floricourt était un prénom au 18e siècle ! Le père européen n’était pas déclaré, je l’ai retrouvé, il vivait en concubinage mais n’avait pas épousé la mère. Elle a donné des prénoms différents (Fayel, Elphège, Héloïse…) comme nom de famille à ses enfants. Il n’y a jamais eu de noble dans la famille, en tout cas pas de ce côté-là. Je suis tombée dans le virus de la généalogie avec cette recherche qui a pris du temps et du coup j’ai découvert toutes les autres branches, les Nourry de Bretagne, les Dugain, les Grondin, les Payet, les Fontaine…

La génétique est un outil de la généalogie, d’où le titre de l’ouvrage, un outil en plus de la recherche qui peut contredire la généalogie déclarative des actes comme cela peut confirmer ou apporter un autre éclairage.

Par exemple, pour retrouver un père naturel comme pour une arrière-grand-mère maternelle, les origines ethniques m’indiquent qu’il peut être d’origine britannique, irlandaise. En effet, a priori, personne d’autres dans mon arbre ne correspond. Je dis bien a priori puisque cela peut être un ancêtre non déclaré avec un lien adultérin. En fait, on repart sur ses recherches pour confirmer ou pour combler des trous ou peut-être pour infirmer en partie sa généalogie. Cela nécessite d’avoir du temps et des cousins génétiques suffisamment nombreux avec qui on peut comparer sa généalogie.

Par la généalogie génétique on trouve des origines géographiques mais ce qui est intéressant en plus c’est comparer son ADN avec d’autres personnes.

Exactement pour trouver des correspondances avec ses cousins génétiques, toute la famille, des cousins du 1er degré ou avec des arrières arrières arrières grands-parents en commun.  On me dit souvent que l’on ne trouvera rien puisque les ancêtres n’ont pas bougé du village. En fait, plus on lit et plus aussi on devient historien spécialisé de son petit village par exemple. On va peut-être découvrir qu’il y avait des migrations, des métiers « volants », c’est-à-dire saisonniers qui peuvent avoir eu des relations et donc apporter son ADN différent. On dit souvent que les marins ont une femme dans chaque port et bien grâce à la génétique, je vais vous demander « Et combien d’enfants ? » Ce seront vos cousins génétiques que vous allez retrouver avec une interrogation : d’où provient ce lien familial inconnu ?

Il y a aussi des migrations, des gens qui fuient les régions à cause des guerres, les soldats ennemis ayant transités par la région. En fait on se rend compte que toute l’histoire humaine est faite de migrations, plus ou moins courtes, plus ou moins longues : fuites suite aux guerres, fuites dues à la misère, la famine. Des petits groupes d’étrangers ont pu arriver parfois dans une région et s’y installer, se fondant parmi la population sur place, quitte à changer de nom pour le « franciser ». La terre finalement n’est qu’une histoire de migrations.

Par exemple, Guillaume Le Conquérant a conquis l’Angleterre avec des normands ayant fait souche, ils ont des descendants là-bas. Lorsque l’on dit que des français ont des origines « britanniques-irlandaises » c’est peut-être lié aux panels plus détaillés que l’on a des anglais, ce qui manque en France. En fait ces origines britanniques irlandaises sont peut-être liées aux normands installés en Grande-Bretagne. Les français du Sud qui sont proches de la frontière espagnole ont plus de liens avec la péninsule ibérique qu’avec des français du Nord de la France. Il ne faut pas voir les origines ethniques comme lié à un pays et une nationalité mais à une zone géographique constituée d’une multitude de migrations, d’influences et de mélanges divers.

Actuellement, les tests ADN pour la généalogie sont interdits en France et c’est pour cela que l’on a peu de détails par région des origines. Si cela se développe, lorsque l’on a un ancêtre qui a par exemple un patronyme particulier et rare dans la région mais présent ailleurs. On pourrait peut-être confirmer des hypothèses ?

Oui, tout à fait. Par exemple, le chromosome Y ce que je nomme une « voie royale », une chance pour les hommes. Le chromosome Y,  que seuls les hommes ont, est hérité du père à l’identique. Tous les hommes de la branche du chromosome Y vont en hériter. Un français, par l’analyse de son chromosome Y de son haplogroupe particulier a découvert que son ancêtre dans la Sarthe, il me semble au Mans, était en fait espagnol d’origine, arrivé vers 1470 environ. Il avait réussi à retrouver par sa généalogie cet ancêtre. Il y avait des échanges marchands à cette époque avec des espagnols dont un s’était installé  au Mans finalement. Le nom ne permettait pas d’identifier l’origine mais par l’identification du chromosome Y, il a retrouvé son origine espagnole avec un cousin génétique installé dans un autre pays européen.

On manque de panels en France. C’est interdit en France mais c’est un peu hypocrite puisque certains laboratoires vendent en France ces tests génétiques à des fins généalogiques. Aujourd’hui ce qui bloque le plus en France, c’est la base ethnique. En France, par rapport à l’histoire spécifique et aux surveillances de la CNIL, c’est ce qui pose problème puisqu’on ne doit pas le spécifier. Il y a aussi l’aspect bioéthique. Je réfute le terme de « test ADN récréatif » donnant l’impression d’un usage superficiel, pour s’amuser. Ce n’est pas une collection de timbres ! Le test ADN de nos origines, c’est un droit, c’est notre patrimoine.

Les tests ADN, c’est une recherche historique, familiale ?

Oui exactement  C’est quelque chose de profond et d’important. C’est vrai qu’il y a des interrogations mais la France s’érige en village gaulois en s’opposant aux tests ADN. Au salon de généalogie à Paris, j’ai été surprise par le nombre de gens qui ont fait le test depuis de nombreuses années, me remerciant car avec le livre ils comprenaient enfin les résultats et savaient maintenant comment les utiliser dans leur démarche généalogique.

Il y a une envie, une volonté des français d’en savoir plus et de faire des tests ADN. La loi française est « fantomatique » puisque les vrais tests génétiques interdits sont les tests médicaux, prescrits par un médecin, et les tests de paternité. Pour ce dernier, seul un juge peut l’ordonner afin de comparer deux ADN. Un test génétique personnel provient d’une volonté individuelle pour analyser son propre ADN. On ne peut pas l’interdire et d’ailleurs aucun autre pays de l’Union européenne ne l’interdit. Il y a des laboratoires partout dans l’Union européenne sauf en France. On donne du coup son ADN à des laboratoires étrangers et notre patrimoine génétique part à l’étranger.

Est-ce qu’on ne peut pas faire le parallèle avec les questions que l’on se posait il y a quelques années avec la mise en ligne de son arbre sur internet ? La mise en ligne de sa généalogie apparaît positive aujourd’hui pour comparer son arbre et trouver des cousins et des pistes.

C’est toujours la même chose il y a un effet positif au partage des données et un côté négatif potentiellement avec la découverte peut-être d’un secret de famille. Mais la découverte d’un secret de famille peut aussi être un soulagement, au contraire.

Cela peut éclairer son histoire de façon différente et si on aborde la psychogénéalogie, que je nommerai désormais psychogénétique, peut-être de comprendre aussi, parce que l’on hérite d’une certaine mémoire génétique, des études scientifiques le démontrent.

L’ADN est ou outil qui apporte d’autres éléments, d’autres informations que l’on peut creuser ou non. Aux personnes qui m’indiquent que le test peut-être dangereux, je leur indique de ne pas le faire, ce n’est pas une obligation. A chacun de choisir ou non ! C’est la liberté. Pour les généalogistes qui ont un ancêtre inconnu, c’est une immense frustration et la génétique peut être potentiellement la seule solution.

La génétique ne va pas donner l’identité de ce père inconnu, son nom et prénom.

Il  y a une technique, la triangulation, c’est-à-dire de comparer les résultats génétiques avec ses cousins génétiques afin de retrouver les ancêtres en commun et à partir de cette branche de redescendre pour retrouver la personne concernée. Ce qui est important, c’est que l’on va uniquement se faire tester soi. Nous pouvons aussi paramétrer les comptes avec des options de confidentialité, pour ne pas être identifié.

L’idéal est de tester d’autres membres de sa famille ? Les ascendants ?

Oui, les ascendants si c’est possible, c’est 2 générations supplémentaires d’informations : parents, grands oncles, grandes tantes. Ce sont tous les recoupements, un travail de détective, qui permettent de savoir quelle part d’ADN on a d’une branche et donc de retrouver l’ancêtre manquant. Même si on est une femme et que l’on n’a pas le chromosome Y, on peut retrouver l’information en demandant à un oncle, un cousin, arrière petit cousin de se faire tester par exemple. Ensuite à chacun de partager ou non ses résultats et son arbre généalogique.

On peut avoir peur de l’utilisation de son ADN. On évoque par exemple des mutuelles qui détermineraient  les risques médicaux et donc le paiement de sa cotisation

Les données génétiques peuvent être vendues à des laboratoires pour des études scientifiques (cancer…) mais toujours anonymement.  Cela fait avancer la recherche médicale, c’est important et précieux. Par contre, l’utilisation par des mutuelles par exemple est interdite aux Etats-Unis et en Union Européenne aussi afin de protéger les utilisateurs.

Aux Etats-Unis, une majorité de personnes n’auraient pas fait de test génétique si les résultats pouvaient être transmis ou exiger par les mutuelles.

On doit protéger ces données et l’Union Européenne le fait. Il faut que cela continue et que l’on soit vigilant sur le sujet. Il ne faut pas le nier, c’est une vraie problématique. Nos données pourraient être utilisées à mauvais escient. Le faire dans un laboratoire de généalogie génétique contraint par la loi est la meilleure façon. Il serait mieux que cela soit un laboratoire français afin que le cadre légal français s’applique.

Cela ferait aussi avancer la recherche médicale française qui paye très cher l’accès à ses résultats génétiques, si on nous permettait de donner anonymement et gratuitement ces données à la Recherche française.

L’ADN un outil généalogique

guide adn un outil genealogique 2e editionCe guide donne donc les clefs pour comprendre toutes les possibilités de ce formidable outil généalogique qu’est l’ADN. L’auteur détaille les différents tests disponibles (test mitochondrial, autosomal ou sur le chromosome Y…), les lieux où ils peuvent être réalisés et explique précisément comment lire et comprendre les résultats de ces tests. L’aspect juridique et déontologique est abordé, ainsi que les écueils à éviter, pour que vous puissiez découvrir en toute sérénité cette mine de renseignements généalogiques. En clair : les évolutions de ce champ de recherche ont été tellement rapides ces dernières années qu’un guide pratique était devenu indispensable.