Michel, fils de Michel, petit-fils de Michel et père d'un Michel ? Une coutume réservée aux familles aristocratiques transmettant à chaque génération le prénom du fondateur de la dynastie quelques siècles plus tôt. Mais pas seulement...

Les prénoms lignagers des familles nobles d'autrefois

Les familles nobles pratiquaient souvent au Moyen-Age la transmission récurrente de certains prénoms. Une répétition qui rendait difficile, voire impossible, le décompte des générations et donnait ainsi l’impression qu’elles étaient d’ancienneté immémoriale, présentes depuis la nuit des temps dans leur fief.
Dans ces "généalogies immobiles", la famille se reproduisait à l’identique sur plusieurs siècles. Et la seule façon de s’y retrouver, dans les nobiliaires, était de numéroter les générations, comme pour nos rois : Raymond II, fils de Raymond I et père de Raymond III, etc.
Quels prénoms ?
Parmi ces prénoms récurrents, on trouve :

  • les Guillaume chez les Tancarville,
  • les Hugues chez les Lusignan,
  • les Alain chez les Rohan,
  • les Raymond chez les barons de Mévouillon,
  • les Gautier chez les Brienne,
  • les Armand chez les Polignac,
  • les Archambaud chez les comtes de Périgord,
  • les Amédée chez les comtes de Savoie,
  • les Gaston chez les comtes de Foix,
  • les Guigues chez les comtes de Forez et les comtes d’Albon,
  • les Enguerrand chez les Coucy

Parfois le "prénom lignager" change, mais toujours pour une bonne raison. Ainsi, lorsque les La Rochefoucauld de la branche aînée remplacent à la fin du XVe siècle leurs prénoms traditionnels Guy et Aymery par François, c’est parce que le roi François 1er a porté leur fils sur les fonds baptismaux. François est ensuite donné sans interruption sur neuf générations jusqu’au XVIIIe siècle.

Une tradition tout à fait universelle

Cette répétition qui nous semble surprenante était partagée jusqu’au milieu du XIXe siècle (parfois jusqu’à la Première Guerre mondiale dans les régions les plus pauvres, le Limousin par exemple) par l’ensemble du peuple.
Il ne s’agit donc pas d’une coutume réservée aux familles nobles, loin de là.

L’enfant qui naissait, quelle que soit la situation sociale et de fortune de sa famille, était inscrit par son prénom dans une parentèle précise.

La tradition fait ainsi que, pendant des siècles, le fils aîné a porté le prénom du père, la fille aînée le prénom de la mère, les suivants les prénoms des grands-parents ou des parrains et marraines.

Un casse-tête pour l'historien des familles

Chaque génération transmettait donc à l’identique ses propres prénoms à la génération suivante. Tous ceux qui ont fait un peu de généalogie le savent bien.
Qui n’a pas peiné un jour ou l’autre à distinguer les différentes branches familiales d’un patronyme fréquent ? qui ne s’est pas perdu quelque temps entre les différents Jean Martin, fils de Jean Martin et petit-fils de Jean Martin (tous laboureurs ou meuniers pour ne rien arranger) et cousins d’une brassée d’autres Jean Martin de même profession ?
Et, cerise sur le gâteau, lorsque le dit Jean Martin se remariait, il donnait à nouveau son propre prénom à l’aîné de chaque lit… Des traditions qui sont le cauchemar de tous les généalogistes d’aujourd’hui !

Une idée qui revient dans l'air du temps?

Depuis les années 1900, la mode s’est emparée des prénoms. Ils sont de plus en plus nombreux, avec une "durée de vie" de plus en plus courte.

Par exemple, les enfants de Jean et de Marie (prénoms leaders pendant quatre siècles) se nomment Michel et Monique (prénoms massivement donnés pendant quelques décennies), eux-mêmes parents de Thierry et de Martine (à la mode une dizaine d’années), à leur tour parents de Théo et Léa (qui tiendront au mieux cinq ans)…
Aujourd’hui, on veut l’originalité à tout prix. Et l’originalité, c’est parfois de prendre les modes à rebours. Un Michel a ainsi prénommé son fils Michel, et toute la famille parle en riant de « Michel I » ou « Michel II » pour s’y retrouver.
D’autres renouent avec les prénoms familiaux du passé en les redonnant aux nouveau-nés, surtout s’ils sont rares : Thélonie, Ismérie ou Iwane par exemple.
D’autres reprennent le prénom des parents ou des grands-parents. Et, puisque la fête des pères approche, quel plus beau cadeau faire à un papa que de lui annoncer que son petit-fils à naître va porter le même prénom que lui ?

Marie-Odile Mergnac